DANS LES COULISSES : L’OUVERTURE DE L’ACHAT DE L’AVION PRÉSIDENTIEL SOUS LE CHOC ET L’ÉMOTION MME BOUARÉ FILY SISSOKO PRÉSENTÉE DEVANT LES JUGES SUR UNE CIVIÈRE: UN FAIT INÉDIT AU MALI

* LE 02 JUIN 2025 : DES TÉMOINS CLÉS DEVRAIENT ÊTRE ENTENDUES
Après plusieurs mois d’attente, le sulfureux procès dit de l’achat de “l’avion présidentiel et équipement militaire”, dont le dénouement est attendu par le peuple malien, a repris le jeudi 22 mai. Elle fut marquée par une image, qui, à coup sûr, a marqué l’esprit de tous ceux qui étaient présents dans la salle, et alimenté les sujets de discussion dans la capitale. En effet, l’entrée de madame Fily Bouaré Sissoko, méconnaissable et allongée sur une civière, complètement emmitouflée dans une couverture, tel un corps sans vie, a choqué. Une scène qui marque une première dans l’histoire judiciaire du Mali. Nous vous dévoilons les coulisses de l’ouverture de ce procès, qui est le symbole d’une justice malienne tiraillée entre le désir de vérité et le succès d’une affaire afin de faire redorer son blason terni aux yeux du peuple.
RETOUR SUR L’OUVERTURE DU PROCÈS SUR L’AFFAIRE DE L’AVION PRÉSIDENTIEL & DES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES
Pour rappel, le procès avait été renvoyé en octobre 2024 pour « complément d’information », après plus de deux semaines de débats de fond. Le ministère public avait alors soulevé l’absence de témoins essentiels, notamment d’anciens hauts responsables tels que les anciens Premiers ministres Oumar Tatam Ly, Moussa Mara, et l’ancien ministre délégué au Budget, Madani Touré. Il avait également demandé la production des factures de paiement de la société GuoStar auprès du Trésor public. Ces mêmes demandes avaient été soutenues par le représentant du contentieux de l’État. Sept mois plus tard, le procès, qui devait reprendre, a finalement été renvoyé au 02 juin prochain, en raison de l’état de santé critique de Mme Bouaré.
LA COMPARUTION D’UNE ACCUSÉE DIMINUÉE AU PRIX D’UNE JUSTICE EN QUÊTE DE RÉUSSITE
L’état de santé de Mme Bouaré a marqué l’esprit des gens, à tel point qu’elle en est venue à interpeller la conscience nationale. Entourée de médecins, l’ancienne ministre semblerait avoir été « forcée » à venir comparaître. Difficile pour les personnes présentes sur place de ne pas avoir été ébranlées par l’ambulance qui a transporté Mme Bouaré. De même, pour la façon dont elle a fait son apparition dans la salle. Car ce n’était plus cette même dame d’il y a à peine quelques mois, qui avait soif de venir se battre pour sa liberté. Non, c’était une dame fatiguée, affaiblie et portant le préjudice de ces dernières années enfermée. Dès l’arrivée de la civière poussée par des agents en blouse, le climat a changé dans la salle. Mme Bouaré, allongée et totalement recouverte d’une couverture, a suscité l’émotion. Des murmures fusaient : « Je n’ai jamais vu cela au Mali… Un accusé sur une civière devant les juges, est-ce nécessaire ? » ; Un expert des Cours d’assises nous a confié : « Cela fait 30 ans que je travaille ici, je n’ai jamais vu une situation pareille ». Malgré son état de convalescence, la Cour a insisté pour poursuivre l’audience. Les médecins ont installé la patiente devant les juges pour un examen sommaire. À la question du président de la Cour sur sa capacité à suivre le procès, le médecin Boubacar Sory Keïta a répondu : « Elle ne pourra pas rester assise longtemps ». Les avocats de Mme Bouaré ont aussitôt réagi, demandant le respect de la dignité de leur cliente : « Dire qu’elle ne peut pas supporter ce procès, c’est une évidence, M. le Président. Il y a une valeur universelle : la dignité. La Charte de Kouroukanfouga dit : “Tue, mais n’humilie pas.” Nous sommes dans l’humiliation. Un procès ne doit pas être tenu pour le principe, mais pour que justice soit rendue. Dans ces conditions, comment garantir un procès équitable ? », a plaidé Me Dianguiné Tounkara, demandant le renvoi du procès et la libération de sa cliente. De son côté, le parquet a demandé à la Cour de ne pas renvoyer le procès, estimant que l’état de santé de l’accusée est instrumentalisé pour retarder la procédure : « Nous avons reçu deux rapports médicaux, aucun ne conclut à une incapacité à comparaître. Même le premier rapport, que nous avons contesté dans sa forme, ne dit pas qu’elle ne peut pas être jugée. Nous avons tout mis en place pour qu’elle soit entendue dans des conditions acceptables. Le peuple attend la vérité. Qu’elle vienne expliquer comment l’avion présidentiel a été acheté, comment la garantie de l’État a été engagée. Même sur une civière, elle peut être entendue », a insisté le procureur. Le représentant du contentieux de l’État a abondé dans le même sens : « Toutes les règles ont été respectées. Elle est soignée à l’hôpital, c’est son droit. Mais nous avons besoin que la vérité soit dite ».

La tension était à son comble entre les deux parties, chacun avançant ses arguments pour obtenir gain de cause. La Cour s’est donc retirée afin de statuer s’il fallait ou non continuer la séance. De plus, statuer aussi sur les demandes de renvoi du procès et de mise en liberté de Mme Bouaré Fily Sissoko et de Nouhoum Dabitao. Après plus d’une heure de délibération à huis clos, ce qui en dit long sur les échanges intenses qui ont dû se faire entre les juges afin de tomber d’accord, la Cour a rejeté les demandes de mise en liberté provisoire et a renvoyé le procès au 2 juin prochain. « Nous avons statué au renvoi car Mme Bouaré est venue sur une civière. Elle n’est pas en mesure d’endurer un procès pénal qui peut durer plusieurs semaines. Dans deux semaines, si son état n’évolue pas, nous demanderons à nouveau le renvoi. Il faut être en bonne santé physique et mentale pour comparaître ». Pour Me Tounkara : « Ce procès, c’est du gâchis. Pourquoi nous convoquer alors qu’on sait qu’elle n’est pas en état d’être jugée ? » Alors, bon coup médiatique ou spectacle pénalisant pour le processus de ce procès historique ? Les avis sont partagés et emplis d’émotions diverses au sein de la population.
LE 02 JUIN : UNE DATE DÉCISIVE
La date du 2 juin 2025 revêt une importance particulière, car si le procès n’est pas de nouveau renvoyé, elle devrait marquer l’ouverture effective des plaidoiries : une étape clé vers la conclusion du procès. Surtout que des témoins clés tels que l’ancien Premier ministre Moussa Mara, qui était présent dans la salle, contrairement à Oumar Tatam Ly, aussi ex-Premier ministre, et Madani Tall, qui ont répondu absents, devront être entendus. Des témoignages qui devraient soulever les zones d’ombre dans cette affaire complexe, et auront sans nul doute une répercussion sur son dénouement qui nous tient en haleine depuis maintenant bien trop longtemps. ■
YOUSSOUF KONATE