PROCÈS DES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES : L’ANCIEN CHEF DE LA DIVISION COMPTABILITÉ MATIÈRE DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE ÉCHAPPE À UN MANDAT DE DÉPÔT!

 PROCÈS DES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES : L’ANCIEN CHEF DE LA DIVISION COMPTABILITÉ MATIÈRE DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE ÉCHAPPE À UN MANDAT DE DÉPÔT!

Le procès de l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires se poursuit avec la comparution de témoins clés. La Cour d’assises est déterminée à aller jusqu’au bout pour faire éclater la vérité, quel que soit le temps que prendra l’audience. Hier, mardi 24 juin 2025, l’un des témoins, membre de la commission de réception des matériels militaires, a échappé de justesse à un mandat de dépôt pour « faux et usage de faux » et « faux témoignage ».

Il s’agit du colonel Mamoudou Togo, ancien chef de la division comptabilité matière au ministère de la Défense et des Anciens combattants. Dans un premier temps, la Cour a interrogé Mamadou Kida, ingénieur de l’avion, pour obtenir des précisions sur le prix de l’appareil acquis pour le président Ibrahim Boubacar Keïta. Ce dernier n’a pas pu donner une estimation du coût, expliquant qu’il n’avait pas eu accès aux documents permettant d’établir un prix. Il a toutefois indiqué que les prix des avions varient selon leur catégorie : ceux de première main mais très usés coûtent entre 2,5 et 3 milliards de francs CFA ; un appareil de catégorie intermédiaire peut être acquis à 6 milliards ; enfin, les avions de troisième type coûtent entre 18 et 23 milliards de francs CFA. M. Kida n’a cependant pas pu situer précisément le modèle ou le prix de l’aéronef présidentiel. La Cour a finalement décidé de le libérer. Le colonel Mamoudou Togo, quant à lui, a détaillé son rôle dans l’élaboration du contrat GUOSTAR.

Il a affirmé que tous les équipements militaires prévus ont été livrés : « J’ai participé aux différentes réceptions des matériels en quantité et en qualité. Je confirme que tous les équipements mentionnés dans le protocole d’accord ont été livrés, pour une valeur de 69 milliards de francs CFA », a-t-il déclaré, précisant qu’il y a eu au total 19 livraisons.

Or, selon le rapport du Bureau du Vérificateur général, les livraisons seraient plutôt évaluées à 39 milliards de francs CFA. Le parquet a ainsi souligné d’importantes discordances entre les procès-verbaux de réception et les quantités prévues. Il a également relevé de nombreuses incohérences dans les chiffres et les documents. Selon lui, certains PV de réception sont entachés d’irrégularités, notamment au niveau des signatures : la signature figurant sur le PV n°2 diffère de celle du PV n°11, attribuée à N’Tio Konaté, agent de la Direction générale de l’administration des biens de l’État (DGABE), alors que son nom n’y apparaît pas. Lors de sa comparution lundi, le directeur de la DGABE, Ousmane Christian Diarra, avait d’ailleurs précisé que cette signature n’engageait pas son service. Le parquet a aussi signalé que plusieurs bordereaux de livraison ne précisent pas la quantité de matériel livrée. En réponse, le colonel Togo a maintenu que les procès-verbaux remis par la commission de réception reflétaient la réalité. Il a ajouté que lorsqu’un montant dépasse 500 000 francs CFA, un PV est systématiquement établi. Au terme d’un débat de plus de deux heures, le parquet a demandé à la Cour de poursuivre le colonel Mamoudou Togo pour « faux et usage de faux » ainsi que pour « faux témoignage ». « Certains PV ont été signés par des personnes absentes. Il y a eu altération de la vérité. Nous demandons que M. Togo soit poursuivi. C’est la défense qui a fait venir ce témoin pour corroborer sa version. Mais du début à la fin, tout est faux. La Cour doit prendre ses responsabilités », a martelé le ministère public. Les avocats de la défense ont, tour à tour, répliqué pour dire que le parquet n’a pas de preuves pour poursuivre leur témoin. « Ce monsieur N’Tio Konaté, qu’il vienne se présenter devant vous pour dire : c’est faux, je n’ai pas été présent dans la commission de réception. Qu’il vienne nous le dire tout simplement. Ce militaire, il a été appelé sous le drapeau. Donc, il a aussi ce devoir de redevabilité. Que cette Cour-là nous dise très solennellement que M. N’Tio Konaté se présente. Comme ça, ça va dissiper tous les malentendus parce que je suppose que le parquet s’est enfermé dans un malentendu infernal. Il ne veut pas s’en sortir. Il ne veut pas vous dire la vérité. C’est à lui de prouver que c’est un faux. Mais ce n’est pas la signature de Mamoudou Togo qui est là, en cause ? Est-ce que M. Togo doit répondre au nom de toute la commission ? Tous les membres ont défilé ici. Ils vont encore défiler. Nous demandons encore une fois la comparution de M. N’Tio Konaté. Ça va dissiper ces malentendus, au lieu qu’ils soient compris comme une incrimination à l’égard du témoin M. Togo », a lancé Me Mamadou Bobo Diallo. Me Kaboré a abondé dans le même sens ».

« On en est à la énième fois où le parquet tente de dissimuler son incapacité à démontrer quoi que ce soit. Quand on harcèle les témoins, quand les témoins répondent et qu’on n’est pas content, et qu’on continue de les harceler par des questions, ça veut dire tout simplement qu’on n’a rien à démontrer. Qu’est-ce qu’on vous dit là ce matin, ou plutôt en cette moitié de journée ? Qu’il y a faux témoignage parce qu’une signature se serait retrouvée sur un document et qu’ils estiment que c’est faux ? »

« Pour apprécier un faux, il faut avoir le vrai. Quand on se contente de dire que ce n’est pas clair, que ce n’est pas normal – parce que je ne peux plus compter le nombre de fois qu’on pose la question sur qu’estce qui est normal, qu’est-ce qui ne l’est pas, qu’est-ce qui est clair, qu’est-ce qui ne l’est pas –, on n’arrive à rien prouver. Sur ce document, il y a 4 ou 5 signatures, et il y en a une seule qu’on trouve ne pas ressembler aux autres. Mais M. le Président, qu’on nous dise d’aller à la maison et qu’on nomme des espèces de graphologues, puisqu’il n’y en a pas au Mali, ou qu’ils nous disent dans combien de temps M. le Procureur Général et son collègue seront qualifiés pour apprécier une signature et savoir si elle est vraie ou fausse. Je suis convaincu que, sur deux chèques que signe M. le Procureur Général, les deux signatures ne se ressemblent pas. Mais la banque regarde ce qu’elle a, et puis elle se dit : oui, puisqu’il est là et qu’il a présenté sa pièce d’identité. M. le Président, il ne nous apporte pas les preuves de ce qu’il avance. M. le Procureur a dit que depuis le début, tout ce qui est sur le document est faux, mais il n’arrive même pas à prouver ce faux-là. J’ai souvenir que, pendant l’instruction, tous les avocats ont demandé que tous les documents prétendument faux soient déposés, comme le demande le code de procédure pénale malien. Ils ont refusé de le faire. On vient devant vous et on parle de faux documents, juste parce qu’on pense que c’est faux. Monsieur le Président, à partir du moment où nous allons vous demander qu’il n’y ait aucun document qui soit faux, alors ils ne peuvent pas se baser sur un faux qu’ils apprécient sans la moindre compétence, sans la moindre capacité, pour vous demander à votre juridiction de prendre une décision aussi importante que celle qu’ils sollicitent ».

« Monsieur le Président, il ne faut pas accepter que le parquet vous promène dans ce procès. Quatre semaines de procès, ajoutées aux trois semaines déjà écoulées en 2024, indiquent bien s’il est nécessaire de constater que le parquet n’arrive pas à vous apporter quoi que ce soit. Alors, si le parquet veut vraiment demander l’inculpation du témoin, qu’il fasse, dans un premier temps, une expertise de la volonté (parce que le parquet n’est pas compétent, il n’a pas la capacité pour ça). Ensuite, deuxièmement, qu’il fasse comparaître ce signataire dont on dit qu’il est présent à Bamako, et dont on ne comprend pas pourquoi il ne peut pas comparaître. Encore que les instruments de la visioconférence étant présents, on peut le faire comparaître, lui aussi, depuis son domicile ».

« Tous les Maliens étant égaux, ce qu’on a fait pour un Premier ministre, on peut le faire pour un citoyen, qui est chez lui à la maison, dans le quartier d’à côté. Tant que ce témoin ne sera pas venu comparaître pour dire qu’il ne se reconnaît pas dans cette signature, tout ce que le parquet a dit est faux. » « Le parquet est en débandade. Un procès avorté après trois semaines, nous voilà à la quatrième semaine. Rien n’est concret. Qu’est-ce qu’on trouve pour intimider un témoin qui ne fait que dire ce qu’il a vu, ce qu’il connaît ? Je vous avoue que c’est une invite. Nous, on a des témoins qui viennent déposer de façon sincère, honnête, sans rancune, sans haine. Mais on voit quoi ? Des témoins qui viennent charger, et on les applaudit. Ce n’est pas cela, la justice. Qu’ils laissent, de grâce, nos témoins témoigner. Que ce procès puisse se dérouler dans un esprit de sérénité. Il faut laisser les témoins », a ajouté Me Dianguina Tounkara. Après l’intervention de la défense, le parquet a fait savoir que si l’on se donne la peine d’utiliser de faux documents, c’est un fait extrêmement grave. « Un contrat doit être exécuté. Et il a été dit que ce contrat a été totalement exécuté. Les documents produits pour attester cette exécution sont les procès-verbaux. Malheureusement, ces procès-verbaux ne sont pas conformes. S’il a été dit qu’il y a plusieurs membres de la commission, M. Togo a été l’un des membres. Au-delà même d’être membre, un complice peut également être poursuivi, jugé et condamné au même titre que les co-auteurs. À la première question à laquelle il a répondu, il a dit effectivement que l’intégralité des matériels avait été livrée et attestée par les procès-verbaux. C’est sur cette base que l’État du Mali a été condamné. Nous sommes à un tournant décisif. Ces procès-verbaux ont été utilisés dans les procédures judiciaires. Nous avons aujourd’hui la preuve matérielle qu’il s’agit de faux procès-verbaux. Il y a eu bel et bien faux. C’est incontestable. Et il a fait un faux témoignage, ce qui est prévu et puni par les dispositions de l’article 238 du Code pénal. Ce procès est en train d’imprimer une nouvelle dynamique dans la conduite des affaires publiques.

La réforme de l’État commence par ce procès », a déclaré le parquet général. Après ce débat houleux entre le parquet et la défense, la Cour s’est retirée pour statuer sur la demande de poursuite contre le colonel Togo. Finalement, elle a opté pour la comparution de l’agent de la DGABE, N’Tio Konaté. Ainsi, le sort du colonel Togo sera décidé ultérieurement. ■

YOUSSOUF KONATE

Sarah TRAORE

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