AFFAIRES DES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES: LA COUR EXPRIME CES SUSPICIONS SUR DES DESSOUS DE TABLE DE LA PART DE SIDI M.KAGNASSY : « IL NE M’A RIEN DONNÉ… JE SUIS AUSSI FILS DE MILLIARDAIRE ! » DIXIT NOUHOUM DABITAO

L’ancien directeur du Commissariat des Armées, le colonel-major Nouhoum Dabitao, a comparu ce jeudi 12 juin 2025 devant la Cour d’Assises dans l’affaire liée à l’acquisition d’équipements militaires, pour faux, usage de faux et atteinte aux biens publics.
I l ressort que des matériels d’habillement, de couchage, de campement et d’alimentation (HCCA), ainsi que des véhicules et pièces de rechange, devaient être fournis aux Forces armées et de sécurité maliennes dans le cadre d’un protocole d’accord. En tant que Directeur du Commissariat des Armées, il devait réceptionner lesdits matériels pour un montant de 34 milliards de francs CFA. Le colonel-major Nouhoum Dabitao a catégoriquement nié tout détournement des 36 milliards de francs CFA mentionnés dans l’arrêt de renvoi. Il a affirmé que l’ensemble des matériels a été livré entre août 2014 et juillet 2015. Il s’étonne d’être accusé d’un détournement de 36 milliards alors que le montant réel, selon lui, est de 34 milliards de francs CFA. Toutefois, il a reconnu ne pas être passé par la hiérarchie pour exprimer les besoins de l’armée à Sidi Mohamed Kagnassy. Il a également déclaré que c’est l’ancien ministre de la Défense, Soumeylou Boubèye Maïga, qui l’a contacté à son domicile pour l’informer que M. Kagnassy détenait le mandat pour les marchés d’équipements militaires. Dès l’entame de ses propos, le colonel-major Nouhoum Dabitao a rappelé que, depuis douze ans, le marché entre le ministère de la Défense et des Anciens combattants et la société GUOSTAR a suscité de nombreux débats. Avant de se prononcer sur l’arrêt de renvoi, et avec la permission de la Cour, il a tenu à faire une présentation pédagogique et technique de l’architecture budgétaire du ministère de la Défense.
À cet effet, il a structuré son intervention autour de cinq axes : la nomenclature du ministère, les responsabilités des différents acteurs intervenant au sein du ministère de la Défense, le processus d’exécution des dépenses publiques, les responsabilités de la direction du Commissariat dans le protocole GUOSTAR, et enfin, ses observations sur l’arrêt de renvoi.
Il a rappelé qu’en 2018, le marché est passé au budget en mode programme. Selon lui, ce changement de système a modifié la nomenclature budgétaire, mais certains éléments demeurent constants : les charges, les ressources et les charges personnelles, les ressources et charges de fonctionnement, ainsi que les ressources et charges d’investissement. « Lorsque le marché a été conclu, à la suite de l’expression des besoins, je rappelle que j’ai transmis les besoins à M. Kagnassy, sur recommandation du ministre Soumeylou Boubèye Maïga. Il m’a appelé, et j’ai alors communiqué les besoins à M. Kagnassy. Ainsi, lorsque le contrat a été signé, en novembre 2013, les matériels ont été progressivement entreposés dans le magasin, puis mis à la disposition de l’État-major des services. C’était une opération de grande envergure, car il s’agissait de fournir un paquetage complet aux soldats », a-t-il précisé. Il a ajouté que les matériels ont été réceptionnés par une commission pluridisciplinaire composée notamment d’un représentant du délégué du contrôle financier, d’un représentant du service pourvoyeur concerné… Les procès-verbaux de réception sont signés par quatre ou cinq membres, à l’exception du représentant du délégué, qui les recevra ultérieurement. S’agissant de ses remarques, le colonel-major Nouhoum Dabitao a souligné que l’arrêt de renvoi évoque une disparité entre le montant du protocole et la valeur réelle des matériels. « En tant que DCA, je ne juge pas de la pertinence ni de la sincérité des contrats. Mais chacun assume sa part de responsabilité dans la conclusion du contrat. Dans ce protocole, je suis responsable du lot 1, qui s’élève à 34 milliards et des poussières. Pourtant, dans l’arrêt de renvoi, on parle d’un préjudice de 36 milliards. Comment peut-on détourner 36 milliards sur un marché de 34 milliards ? Ensuite, je ne suis pas responsable de la fixation des prix. On m’accuse néanmoins d’avoir produit un faux et d’avoir fait usage de faux. Or, lors de la première phase de ce procès, des agents ont témoigné et confirmé que tout le matériel a bien été livré. Le délégué du contrôle financier l’a confirmé. Même le secrétaire général du ministère de la Défense l’a confirmé. Je ne comprends donc pas comment on peut m’accuser d’avoir fait passer du faux pour du vrai », a déclaré le colonel-major Dabitao. Concernant l’accusation d’atteinte aux biens publics, il a rejeté les faits.
« Comment pourrais-je porter atteinte aux biens publics alors que je ne suis pas ordonnateur ? Je ne reconnais pas ces faits », a-t-il affirmé.
Le débat s’est ensuite tendu entre l’ancien directeur du Commissariat des armées et les magistrats de la Cour au sujet de la méthode utilisée pour la transmission de l’expression des besoins des armées à Sidi Mohamed Kagnassy. Les juges ont cherché à comprendre pourquoi le ministre de la Défense, Soumeylou Boubèye Maïga, avait contacté le directeur du Commissariat des armées à son domicile, en dehors des heures de service. Ils ont également voulu savoir quels étaient les liens entre lui, le ministre Boubèye et M. Kagnassy. « Je n’ai pas de lien particulier avec lui, si ce n’est sa nomination au poste de ministre. C’était la première fois que je le rencontrais. Je ne l’avais jamais connu auparavant. Quant à M. Kagnassy, je l’ai rencontré pour la première fois chez le ministre. La seconde fois, c’était à son hôtel, lorsque je lui ai remis les besoins », a confié le colonel-major Dabitao. Les juges ont demandé à M. Dabitao si l’hôtel était le lieu approprié pour remettre les besoins des armées à M. Kagnassy. « Il n’y a pas de procédure établie pour ce genre de démarches. Ce que je peux dire, c’est que c’était prioritaire. Ce n’est pas interdit. Je suis libre de le rencontrer. Ce n’est pas une infraction à une quelconque loi d’aller à l’hôtel voir un prestataire. Je ne vois pas de faute dans cette démarche. C’est une personnalité à laquelle la présidence de la République a délivré un mandat. Je ne peux donc pas douter de sa qualité», a déclaré M. Dabitao. La Cour l’a également interrogé sur les raisons pour lesquelles, en tant que colonel de l’armée malienne et directeur du Commissariat des armées, il a remis les besoins militaires à M. Kagnassy dans un hôtel et non dans son bureau. Pour M. Dabitao, cette démarche visait à rappeler à M. Kagnassy le caractère prioritaire des besoins et l’urgence de la situation.
« J’aurais pu l’inviter à mon bureau, mais c’était un engagement personnel pour accélérer le processus», a-t-il précisé.
Cependant, la Cour a insisté sur le fait que M. Kagnassy est un homme très fortuné, et a demandé si M. Dabitao ne s’était pas rendu à son hôtel dans l’intention de recevoir de l’argent. « Kagnassy ne m’a pas donné d’argent. Je n’ai aucun complexe. Moi, je suis fils de milliardaire », a répliqué l’ancien directeur du Commissariat des armées, le colonel-major Nouhoum Dabitao. Après de longues heures de débats, l’audience a été suspendue aux environs de 17h30. Elle reprendra le lundi 16 juin. Malgré l’entrée en vigueur, le 12 juin 2025, de la nouvelle loi judiciaire supprimant les Cours d’assises au profit des cours criminelles, le procès de l’affaire relative à l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires se poursuit devant la Cour d’assises de Bamako. Ce dossier, en cours depuis plusieurs années, est antérieur à la réforme. C’est pourquoi ce procès, qui continue de susciter l’intérêt du public, se poursuivra pour permettre l’éclatement de la vérité.
Le peuple a soif de connaître la réalité dans cette affaire controversée. ■
YOUSSOUF KONATÉ