LE PROCÈS DES ÉQUIPEMENTS MILITAIRES ET DE L’AVION PRÉSIDENTIEL A CONNU SON ÉPILOGUE :

* FILY B. SISSOKO CONDAMNÉE À 10 ANS DE PRISON ET LE COLONEL-MAJOR DABITAO À 07 ANS DE PRISON FERME
* MAHAMADOU CAMARA ET LE GÉNÉRAL MOUSTAPHA DRABO ACQUITTÉS
* MOUSTAPHA BEN BARKA, FILY SISSOKO, AMADOU KOUMA, S.MOHAMED KAGNASSY CONDAMNÉS À REMBOURSER PLUSIEURS MILLIARDS DE FCFA
Le procès relatif à l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires a connu son épilogue hier, mardi 8 juillet 2025. La Cour d’assises de Bamako a rendu son verdict, fixant le sort de l’ancienne ministre de l’Économie et des Finances, Mme Bouaré Fily Sissoko, ainsi que de ses coaccusés, après cinq semaines de débats houleux.
À la reprise de l’audience, aux environs de 10 heures, les accusés ont pris la parole pour livrer leurs dernières déclarations. Mme Bouaré Fily Sissoko a affirmé qu’elle et ses collaborateurs comparaissaient devant la Cour d’assises dans un souci de vérité. « Pour moi, le denier public, c’est le faden to », a-t-elle déclaré. Accusés des faits d’atteinte aux biens publics, de faux en écriture, d’usage de faux et de complicité, Mme Bouaré Fily Sissoko et l’ancien directeur du Commissariat des armées (DCA), le Colonel-major Nouhoum Dabitao, ont été reconnus coupables. En revanche, l’ancien chef de cabinet du président de la République, Mahamadou Camara, et l’ancien directeur des matériels, des hydrocarbures et des transports des armées (DMHTA), le Général Moustapha Drabo, ont été blanchis des accusations portées contre eux. Après la lecture de l’arrêt de condamnation par le président de la Cour, le magistrat Bamassa Sissoko, le parquet général a requis des peines proportionnées aux infractions retenues.
« La justice ne se négocie pas. La justice se rend », a rappelé le procureur à la Cour. Ainsi, il a requis 20 ans de prison ferme et le paiement d’une amende de 500 000 FCFA contre Mme Bouaré Fily Sissoko, et 10 ans de prison ferme, accompagnés d’une amende de 500 000 FCFA et d’une interdiction d’exercer dans la fonction publique pendant 10 ans, contre le Colonel-major Nouhoum Dabitao.
En réaction à ces réquisitions, la défense de Mme Bouaré a sollicité la clémence de la Cour, rappelant que sa cliente est âgée de 70 ans et mère de famille. « La peine requise par le parquet est disproportionnée. Elle n’est pas nécessaire. Mme Bouaré a 70 ans. J’ai peut-être échoué dans ma mission, mais je vous demande, Monsieur le Président, de tenir compte de certains paramètres », a plaidé Me Dianguina Tounkara, son avocat. De son côté, Me Alassane Diallo, avocat du Colonel-major Dabitao, a également demandé un sursis pour son client, estimant que, malgré son âge, ce dernier pouvait encore servir utilement l’armée. « Ne tenez pas compte des larmes versées ici. Il faut appliquer la loi. La loi est dure, mais c’est la loi », a lancé le parquet, avant que les juges ne se retirent pour délibérer. À l’issue des délibérations, l’ancienne ministre de l’Économie et des Finances, Bouaré Fily Sissoko, a été condamnée à dix (10) ans de réclusion criminelle et au paiement d’une amende de cinq cent mille (500 000) francs CFA. Le Colonel-major Nouhoum Dabitao a écopé de sept (7) ans de réclusion, assortis d’une amende de trois cent mille (300 000) francs CFA. En revanche, le Général Moustapha Drabo et l’ancien chef de cabinet de la présidence, Mahamadou Camara, ont été acquittés des charges retenues contre eux. Par ailleurs, les cinq autres personnalités également mises en cause dans cette affaire, mais faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international, ont été jugées par contumace et condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité. Il s’agit de Sidi Mohamed Kagnassi, Nouhoum Kouma, Amadou Kouma, Soumaïla Diaby et Moustapha Ben Barka. Après l’annonce du verdict, la salle a été soudainement plongée dans un profond silence.
L’atmosphère a complètement changé. Le public, venu nombreux pour assister à ce procès historique, murmurait çà et là. Quant aux accusés, ils sont restés calmes et sereins en écoutant le président de la Cour d’assises.
Ainsi, après la lecture de l’arrêt de condamnation, le contentieux de l’État, qui s’est régulièrement constitué partie civile, a sollicité la condamnation des accusés au paiement des sommes détournées. Considérant que les faits retenus par la Cour d’assises à l’encontre des accusés ont causé à la partie civile un préjudice moral et matériel certain, et vu l’article 360 du Code de procédure pénale, la Cour a fait droit à cette demande. Par ces motifs, la Cour a condamné Mme Bouaré Fily Sissoko et Moustapha Ben Barka au paiement solidaire de la somme de 3 milliards 320 millions 189 mille francs CFA, à titre de remboursement des frais versés aux intermédiaires. Mme Bouaré Fily Sissoko, Amadou Kouma et Sidi Mohamed Kagnassi ont également été condamnés au paiement de 15 milliards de francs CFA, correspondant au remboursement du prix d’achat des armes létales non livrées. Les mêmes personnes ont été condamnées à verser la somme de 3 milliards 71 millions 952 mille 400 francs CFA, à titre de remboursement des frais d’enregistrement et de redevances dus à l’État du Mali. Le Colonel-major Nouhoum Dabitao et la société GUA STAR, représentée par Amadou Kouma, ont été condamnés au paiement de 2 milliards 657 millions 170 mille francs CFA, pour la valeur des matériels non représentés. Soumaïla Diaby, quant à lui, a été condamné à verser 500 millions de francs CFA, représentant le montant indûment perçu au titre des frais de transit. La Cour a en outre condamné solidairement les accusés susmentionnés au paiement de 10 milliards de francs CFA à l’État du Mali, représenté par le contentieux du gouvernement, au titre de dommages et intérêts.
Enfin, la Cour a renvoyé le ministère public à mieux se pourvoir quant à sa demande de réparation de préjudice relativement aux héritiers de feu Soumeylou Boubeye Maïga.
Faut-il rappeler que, courant les années 2013 et 2014, le Gouvernement de la République du Mali a décidé d’acquérir un nouvel aéronef à usage présidentiel, ainsi que de fournir aux Forces Armées Maliennes un important lot de matériels et équipements militaires, de véhicules et de pièces de rechange. Ainsi, le 13 novembre 2013, le Ministère de la Défense et des Anciens Combattants (MDAC), représenté par Monsieur Soumeylou Boubèye Maïga, et la société GUO STAR SARL, représentée par Sidi Mohamed Kagnassy, ont signé un premier contrat relatif à la fourniture de matériels HCCA, de véhicules et de pièces de rechange, pour un montant de soixante-neuf milliards cent quatre-vingt-trois millions trois cent quatre-vingt-seize mille quatre cent soixante-quatorze (69 183 396 474) FCFA. Le même jour, pour le même montant, une seconde version de ce contrat a été signée par le ministre Soumeylou Boubèye Maïga et la même société, cette fois représentée par son véritable Directeur, en la personne d’Amadou Kouma. Le 10 février 2014, un second contrat, dit de cession-acquisition d’un aéronef, a été signé entre la République du Mali, représentée par Monsieur Soumeylou Boubèye Maïga, alors ministre de la Défense et des Anciens Combattants, et une société de droit étranger dénommée AKIRA INVESTMENTS LIMITED, représentée par son Directeur général, Monsieur Kerry McGinley Wright, pour un montant de dix-huit milliards neuf cent quinze millions neuf cent trente-trois mille deux cent soixante-seize (18 915 933 276) FCFA. Dans un contexte post-crise marqué par l’engagement des bailleurs de fonds à financer le Plan de Relance Durable du Mali en 2013-2014, et après que les autorités maliennes ont sollicité et obtenu l’appui du Fonds Monétaire International (FMI) à travers un accord soutenu par la Facilité Élargie de Crédit (FEC), certaines dépenses engagées dans le cadre de ces acquisitions et fournitures ont suscité l’incompréhension de plusieurs partenaires techniques et financiers (PTF).
Aussi, sous l’impulsion de ces partenaires, le Gouvernement de la République du Mali a saisi le Bureau du Vérificateur Général par lettre n°358/ PM-CAB en date du 10 juin 2014, afin de conduire un audit de conformité et de performance relatif aux opérations d’acquisition d’un aéronef, ainsi qu’à la fourniture de matériels d’Habillement, de Couchage, de Campement et d’Alimentation (HCCA), de véhicules et de pièces de rechange aux Forces Armées Maliennes.
La mission de vérification menée par le Bureau du Vérificateur Général a permis de révéler de graves manquements à l’orthodoxie financière et comptable, ainsi que des faits de détournement et de complicité de détournement de deniers publics, à travers des opérations frauduleuses portant sur un montant de 9 350 120 750 FCFA, et de surfacturations par faux et usage de faux pour un montant de 29 311 069 068 FCFA. La mission a également permis de relever des faits susceptibles de constituer l’infraction de trafic d’influence, ainsi que des cas de fraudes fiscales. Elle a mis en évidence de graves entorses aux principes régissant les marchés publics et les délégations de services publics, notamment par la signature de contrats dépassant les seuils d’approbation des autorités contractantes, ainsi que par la passation, l’exécution et le règlement irréguliers de contrats d’acquisition et de fourniture de matériels et équipements militaires. Par ailleurs, la Section des comptes de la Cour suprême est parvenue aux conclusions suivantes concernant les deux marchés : paiements effectués sans ordonnancement ou avant celui-ci ; conditions irrégulières d’emprunts consentis ; absence du visa du contrôleur financier sur les contrats signés. Les différents manquements dénoncés par le Vérificateur Général ont fait l’objet d’une enquête préliminaire menée par la Brigade économique et financière du Pôle Économique et Financier de Bamako. Cette enquête a été transmise au Parquet du Pôle Économique et Financier du Tribunal de Grande Instance de la Commune III du District de Bamako, suivant le procès-verbal d’enquête n°016/BEF-PEF du 11 avril 2016. Les enquêtes menées ont confirmé, dans une large mesure, les faits dénoncés, à savoir le « faux en écriture, l’usage de faux, la complicité, ainsi que le délit de favoritisme » à l’encontre des nommés Sidi Mohamed KAGNASSY, Amadou KOUMA, Soumeylou Boubèye MAIGA et Madame BOUARÉ Fily SISSOKO. Après exploitation du procès-verbal d’enquête, le parquet a décidé de classer l’affaire sans suite, au motif que les faits dénoncés ne pouvaient recevoir aucune qualification pénale. Ce classement reposait sur l’argument selon lequel les différents contrats avaient été passés sous le sceau du « secret-défense », conformément à la législation communautaire de l’UEMOA et aux dispositions de l’article 8 du Code des Marchés Publics et des Délégations de Services Publics, échappant ainsi aux règles classiques applicables à ces marchés. Cependant, suivant des instructions écrites du ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, fondées sur le principe selon lequel le classement sans suite ne fait pas obstacle à la réouverture des enquêtes tant que les faits ne sont pas prescrits, le Procureur en charge du Pôle Économique a décidé, par lettre n°033/PR-C III-PEF-BKO en date du 10 décembre 2019, de la réouverture des enquêtes dans ce dossier. Il ressort des dossiers du parquet d’instance que l’enquête menée n’était pas exhaustive, en ce sens que des acteurs majeurs du processus d’acquisition et de fourniture des matériels et équipements militaires n’avaient pas pu être entendus avant la clôture des investigations. Il s’agit notamment des nommés Mahamadou CAMARA, Directeur de Cabinet du Président de la République avec rang de ministre; Moustapha BEN BARKA, ministre chargé des Investissements ; Amadou MAKAN et Mary DIARRA, Directeurs des Finances et du Matériel (DFM) du Ministère de la Défense et des Anciens Combattants ; Moustapha Tran Van Ngoc DRABO, Directeur du Matériel, des Hydrocarbures et du Transport des Armées (DMHTA) ; et Nouhoum DABITAO, Directeur du Commissariat des Armées (DCA). Par ailleurs, il apparaît que les infractions liées à la violation des dispositions du Code des marchés publics (notamment le favoritisme et le fractionnement) ne sont pas les seules susceptibles d’être poursuivies dans cette affaire. Le nouvel examen du dossier a permis de mettre en évidence l’existence d’autres faits, tels que le faux, l’usage de faux, l’atteinte aux biens publics et la corruption, que nul secret-défense ne saurait couvrir. C’est ainsi qu’a été dressé le procès-verbal d’enquêtes préliminaires n°016/BEF-PEF en date du 26 février 2020 par la Brigade Économique et Financière du Pôle Économique et Financier de Bamako, ayant permis la découverte d’informations complémentaires. ■
YOUSSOUF KONATE