AFFAIRE DE L’ACHAT DE L’AVION PRÉSIDENTIEL: DIVERGENCE SUR LE PRIX D’APRÈS LE TÉMOIGNAGE DE MOUSSA MARA ET FEU SOUMEYLOU B.MAÏGA : BOUARÉ FILY SISSOKO AFFIRME « IL N’Y A PAS 03 PRIX ! »

Le procès de l’affaire dite de l’achat de l’avion présidentiel et d’équipements militaires a repris ce lundi 3 juin 2025 à la Cour d’appel de Bamako, après deux renvois successifs, l’un pour « complément d’information », l’autre en raison de l’état de santé de l’accusée principale, l’ancienne ministre des Finances, Mme Bouaré Fily Sissoko.
À la reprise de l’audience, les quatre (4) accusés étaient présents devant les juges de la Cour d’assises. Il s’agit de Mme Bouaré Fily Sissoko, ex-ministre de l’Économie et des Finances ; Mahamadou Camara, ex-directeur de cabinet du Président de la République avec rang de ministre ; Nouhoum Dabitao, ex-directeur du Commissariat des Armées (DCA) ; et Moustapha Tran Van Ngoc Drabo, ex-directeur du Matériel, des Hydrocarbures et du Transport des Armées (DMHTA) au ministère de la Défense et des Anciens Combattants. Certains témoins, dont l’ancien Premier ministre Moussa Mara, ont également répondu présents. Toutefois, deux grands absents ont été signalés : l’ex-Premier ministre Oumar Tatam Ly et l’ex-ministre délégué au Budget, Madani Touré.
L’audience a commencé par la lecture de l’arrêt de renvoi, comme lors de la précédente session, en raison du remplacement de certains conseillers de la Cour.
À la demande des avocats, le président de la Cour a ordonné cette lecture. Le reste de la journée a été consacré à l’intervention de Mme Bouaré Fily Sissoko. Dans ses explications, elle a affirmé avoir été mise devant le fait accompli : les contrats d’acquisition avaient déjà été signés par le ministre de la Défense de l’époque, Soumeylou Boubèye Maïga, accompagnés d’une lettre d’intention d’achat. Lors du paiement des factures, le contrat d’acquisition, rédigé en anglais, était déjà signé. Elle a précisé que les discussions avaient impliqué l’ancien Premier ministre Oumar Tatam Ly et le Président Ibrahim Boubacar Keïta, ce qui motive sa demande d’audition d’Oumar Tatam Ly pour qu’il apporte sa part de vérité. Concernant le coût de l’avion présidentiel, Mme Bouaré Fily Sissoko a répondu aux interrogations du parquet qui pointait les divergences entre les chiffres présentés. En effet, le rapport du Vérificateur général mentionnait plusieurs montants : l’ancien ministre de la Défense parlait de 7 milliards de FCFA, Moussa Mara évoquait 20 milliards, tandis que Mme Bouaré Fily Sissoko a précisé que l’avion avait été acquis à 18 587 348 738 FCFA. Elle a insisté sur l’existence d’un seul prix : « Il n’y a pas trois prix. L’avion présidentiel a été acheté à 18 587 348 738 francs FCFA », a-t-elle affirmé, ajoutant qu’avec les frais d’entretien, le montant total atteignait 21 042 858 562 FCFA. Après environ trois heures de débats, l’audience a été suspendue. Elle reprendra ce mercredi matin. Contexte de l’affaire : Selon l’arrêt de renvoi, entre 2013 et 2014, le gouvernement du Mali a décidé d’acquérir un nouvel aéronef pour la présidence ainsi que divers équipements militaires pour les FAMa.
Le 13 novembre 2013, le ministère de la Défense, représenté par M. Soumeylou Boubèye Maïga, signait deux versions d’un contrat de fourniture de matériels HCCA, de véhicules et de pièces de rechange avec la société GUO STAR SARL, pour un montant de 69 183 396 474 FCFA.
Le même jour, une seconde version du contrat, du même montant, était signée avec un autre représentant de la société. Le 10 février 2014, un contrat de cession-acquisition d’un aéronef a été signé avec la société AKIRA INVESTMENTS LIMITED pour 18 915 933 276 FCFA. Cependant, dans un contexte post-crise où le Mali bénéficiait d’un soutien du FMI via la Facilité Élargie de Crédit (FEC), ces opérations ont suscité des préoccupations chez les partenaires techniques et financiers. À leur demande, le Bureau du Vérificateur Général a été saisi pour mener un audit de conformité et de performance. L’audit a révélé de graves irrégularités financières et comptables, notamment des faits de détournement de deniers publics à hauteur de 9 350 120 750 FCFA, ainsi que de surfacturations par faux et usage de faux pour 29 311 069 068 FCFA. Des soupçons de trafic d’influence, de fraudes fiscales et de violations des règles de passation de marchés publics ont également été relevés.
La Cour suprême, à travers sa Section des comptes, a confirmé plusieurs de ces manquements, dont des paiements irréguliers, des emprunts non conformes, et l’absence de visa du contrôleur financier sur certains contrats.
Une enquête préliminaire menée par la Brigade économique et financière a confirmé la majorité des faits dénoncés. Toutefois, le parquet avait classé l’affaire sans suite, invoquant le caractère « secret-défense » des contrats, conformément à l’article 8 du Code des marchés publics de l’UEMOA. Mais sur instruction écrite du ministre de la Justice, considérant que les faits n’étaient pas prescrits, le dossier a été rouvert en décembre 2019. Il est ressorti que des acteurs-clés n’avaient pas été entendus, et que d’autres infractions pouvaient également être poursuivies. La réouverture des enquêtes a permis de dresser un nouveau procès-verbal d’enquête, révélant des informations complémentaires, notamment sur les faits de faux, usage de faux, atteinte aux biens publics et corruption, des infractions non couvertes par le secret-défense. ■
YOUSSOUF KONATE